C’est l’histoire d’un chef dans un resto-traiteur assez populaire de Montréal. Il s’appelle Christophe, « Tim » pour les intimes. Fouillez-moi pourquoi. On match sur Hinge en mai dernier.
Il a un petit quelque chose. C’est le genre de personne que je remarquerais dans un Ping Pong Club bondé. Ce n’est pas peu dire.
Il est rasé (plutôt chauve à bien y penser), moustache fournie, il semble semi-grand, il a les yeux bruns et les sourcils qui démarquent bien son visage. Il a un regard rieur, celui d’un bon vivant qui aime bien manger et bien boire.
Mmm.
…
Ah non.
Je suis un peu trop emballée. En plus, il s’habille comme une carte de mode, il arbore plein de bijoux que je n’ai pas. Je suis intimidée. Mais il m’a liké? Pourquoi ne pas essayer. Mais avant, faut que j’aille magasiner.
Je lui parle en premier. Je lui dis que j’adore manger et que ça tombait bien qu’il soit chef. On reverra mes grandes techniques de pick-up lines.
Ça marche. Il me répond.
« Haha! T’es gourmande? »
You bet, ma belle betterave.
On se parle à quelques heures d'intermittence, si c’est ça le rythme d’un hot qui travaille dans le Mile-End, ce sera aussi mon rythme. Il s’intéresse à ce que je fais, il trouve ça « vraiment nice » que je sois en publicité.
J’avoue que c’est une job qui se plug relativement bien. Je suis une créative qui ne crève pas de faim. Ça se glisse bien dans une conversation avec un gars qui a une tuque Arc’teryx et des boucles d’oreilles faites sur-mesure.
Le problème: je suis trop down. Ça me tente trop. La chute peut être brutale si ça ne se passe pas. Au moins, je suis au courant de mes faiblesses. Est-ce que ça me protège d’une éventuelle déception? Peut-être pas. Mais au moins, on est au courant du risque que je cours.
J’apprends qu’il habite à côté de chez moi. Nononon. Ce serait trop parfait. Une petite amourette d’été de proximité? Trop beau pour être vrai. Pourtant, c’est là, au bout de mes doigts, je peux presque le toucher.
Shit. Here we go again.
Moi, dans la vie, je m’emballe rapidement. Je vis pleinement mes émotions, je me laisse envoûter par les belles paroles, par les sentiments du moment. Je trouve ça dommage d’être tout de suite dans les questionnements, dans les hésitations.
Même si ça me préserverait peut-être un brin, je préfère tomber de haut plutôt que de rester à plat, sur le neutre. J’aime les feelings du début, où tout est possible. C’est là que je me sens en vie.
On se parle en arrière-plan, c’est-à-dire que les conversations coulent semi. La vie suit son fleuve pas si tranquille.
Entre-temps, je suis à une soirée dans le Mile-Ex, comme une vraie montréalaise qui va dépenser ses économies chez Annexe Vintage. Christophe ne me répond pas cette soirée-là. Bon. Je suis un peu bummed, mais lui aussi il doit être bien occupé. C’est un chef, il doit travailler comme un demeuré. Faut que je me calme.
My god, je suis tellement bonne. Rational kween.
Mes ami·es et moi quittons la place du party et décidons d’aller manger une poutine à la Taverne Atlantic. On est légèrement alcoolisé·es, j’aurais envie que Christophe me réponde. Ou Tim, peu importe son nom.
On s’attable dans la section « diner » de la Taverne avec une vue sur les cuistots. Je pense à Christophe. Puis, le serveur arrive.
My god. Le serveur est magnifique. Évidemment.
J’ai bu du vin dans une Éco cup pendant 3 heures, je me sens d’attaque pour un peu de flirt supplémentaire.
Le serveur et moi on vibe en maudit. Il échappe ses ustensiles au moment de les déposer près de moi. Il est nerveusement magnifique. On a constamment des eye contacts, mes ami·es capotent à côté de moi. Je capote un peu aussi, j’oublie que Christophe ne me répond-
Un message de Christophe. Tiens, tiens.
« On fait quelque chose demain? Petit parc? »
Yes. Mets-en, Christophe. T’as senti que je pensais plus à toi ou quoi? Si c’est ça qu’il faut pour que tu me répondes, je vais m’en donner à cœur joie.
Je confirme en disant qu’on se donnera une heure de rencontre demain. Il acquiesce numériquement avec un emoji.
Oh que je me sens puissante en ce moment. Je flirt avec un serveur et ma date ·cOoL· me convoque à un rendez-vous galant le lendemain. Le monde m’appartient.
« Pis, la poutine est bonne, Geneviève? »
C’est le serveur cute. Oui, très bonne ma poutine. Ma soirée serait encore meilleure si on allait frencher dans le backstore. Va falloir que je me contente du gravy au vin rouge pour le moment.
Mes ami·es quittent tranquillement et je n’ai pas encore fini mon verre de vin. J’ai pas envie de le caler, franchement. Je l’aurais fait dans une Éco cup, mais pas dans un verre au restaurant quand même.
Je demande à mon amie si elle a un crayon. Elle m’en prête un en me disant: « you go girl ». Moi, je ne niaise pas avec la puck. Surtout quand le joueur de hockey me séduit autant.
Je suis toute seule au bar en train de terminer mon verre de rouge délicieusement conseillé par le serveur.
J’ai ma facture devant moi et j’ai le cœur qui débat. OK, ça se passe.
Je tente d’écrire mon numéro sur la facture et le crayon… ne fonctionne pas. Pu d’encre.
Fuck.
Je tente d’appuyer fort fort fort, mais plus je m’acharne, plus j’ai peur que le serveur me surprenne à écrire mon numéro. J’abandonne. Ce ne sera pas possible.
Je suis immensément déçue. Et terriblement gênée, malgré les quelques verres de vin que je me suis enfilée.
On va stalker ça sur Instagram à la place.
Je suis dans le Uber du retour et je trouve son compte. Il a une femme et un enfant. Ouf.
Je tombe lentement de haut. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour avoir du tip, me suis-je dit à son sujet. Je le comprends. Bon, pas grave, au moins j’ai une date demain.
*
J’écris à Christophe vers 11h en lui proposant 17h comme heure de rencontre. Je croise deux de mes ami·es dans mon coin en sortant du gym, en leur disant que j’ai une date ce soir avec Christophe du resto-traiteur populaire et iels sont emballé·es pour moi.
La vie est bonne.
Je vois même quelqu’un arborer un chandail de la place dans la rue. Est-ce un signe? Je pense aussi.
Il fait beau, mais Christophe ne me répond pas. Il est maintenant 14h. Bon, peut-être qu’il travaille. Je ne connais pas son horaire par cœur.
Il est 15h30, toujours pas de réponse.
Hmm. Je n’aime pas le feeling. Peut-être qu’il va me répondre à la dernière minute.
Il est 17h. Aucune réponse.
Je lui text un « Hello? »
Je suis déçue. Pire qu’hier avec mon crayon qui ne fonctionnait pas. Je me mets à me questionner. Peut-être que j’ai été trop intense? Trop down? J’ai eu l’air insistante?
Je me sens laide. Conne. Stupide. Je sais que ma valeur ne dépend pas du regard d’autrui, mais j’aurais vraiment aimé avoir la chance de lui plaire. De le séduire. De lui montrer que je suis ·cOoL· aussi. De le faire rire.
Il est 19h et je n’ai aucune réponse. Quelle merde. Quel lâche. Quel manque de respect.
Je suis fâchée. Je vais prendre une crème glacée avec une de mes amies au Iconoglace pour me consoler. Je suis en tabarnaque. J’en reviens pas.
C’est ça, se faire ghoster?
C’est vraiment un feeling de pure merde. Attendre toute une soirée après quelqu’un. Une chance que je ne me suis pas rendue au parc pour 17h, mais j’aurais pu. En pensant qu’il aurait manqué de batterie dans son cell. En pensant qu’il serait arrivé quelque chose de grave.
Je suis fâchée et triste.
J’ai le goût de lui faire savoir.
Je le text en disant que j’ai attendu, en vain. Que c’est un manque de respect. Que j’aurais préféré qu’il me dise que ça ne lui tentait plus, qu’il ne le feelait plus plutôt que de ne me fournir aucune réponse. Qu’en 2024, on s’attend à mieux collectivement.
Je me suis couchée crisste. En crisse et triste. Je me sens comme une guénille qui a été tordue puis laissée sur le bord de la 30. C’est vraiment un mauvais sentiment.
Je nous souhaite de prendre les devants et d’assumer que ça ne nous tente plus. Ce n’est pas le fait d’être plus down le problème: c’est la manière de le faire savoir. L’honnêteté et la transparence vont toujours être les bienvenues quand on a du respect pour l’autre. Ou pour soi.
Soyez des adultes, assumez comment vous vous sentez et les répercussions que ça peut avoir sur l’autre.
C’est si simple.
Je n’ai jamais eu de nouvelles de Christophe par la suite. Silence radio. Ce manque d’interaction a fait friser les cheveux de Patrick Masbourian encore plus. J’ai supprimé la conversation après 4 jours. Il aurait eu le temps de m’écrire et surtout, de s’excuser. De dire que, ce n’est rien contre moi, mais qu’il ne le sentait plus. J’ai dû le déduire. Je pense qu’en tant qu’adultes, on n’a pas à se contenter de déductions, mais bien de dialogues. C’est la moindre des choses.
Vraiment la moindre des choses.